Sheila Hicks
Echapper au Tumulte
Dans son essai Le principe d’ouverture qui ouvre le catalogue de l’exposition Lignes de Vie au Centre Pompidou de février à avril 2018, Michel Gauthier écrit que « l’œuvre selon Hicks se situe dans l’espace réel et cherche même souvent à entrer en rapport avec lui ». L’œuvre n’existe qu’en situation, dans un contexte spécifique. C’est d’ailleurs pourquoi Sheila Hicks a choisi le textile, pour sa plasticité et son adaptabilité. Pour Sheila Hicks, le textile est le « plus
séduisant et le plus gratifiant des mediums ».
Des œuvres inspirées par le confinement Certaines des œuvres présentées dans notre exposition ont été conçues pendant les confinements et inspirées par l’enfermement. Les minimes intitulés Monolithe gracieux et Tissage d’araignée en laine filée à la main, sont similaires à de véritables toiles d’araignées colorées. Ils évoquent directement l’enfermement, à la manière des moucharabiehs, au travers desquels on n’a pas d’autres choix que de regarder notre environnement réduit à sa plus simple expression.
Ces œuvres sont fortes, inquiétantes même, figurant une élégante mais implacable prison de fils et appellent à traverser le cadre.
Sheila a été formée par un des maîtres de l’art moderne, Josef Albers qui dirigea le département de design à l’Université de Yale où Sheila entre en 1954. Il conçoit ses œuvres comme autant d’essais d’interactions entre les couleurs. Les relations chromatiques sont également essentielles pour Sheila Hicks et elle dira que c’est Albers qui « l’a éveillée au monde de la couleur et aux manières de l’utiliser ». Dans Sentinelle des sentiments, deux carrés gris semblent se dissoudre dans un fond jaune. Dans de nombreux minimes, la dimension picturale l’emporte. Pour Frédéric Bonnet, la peinture est d’ailleurs une clé de lecture essentielle de l’œuvre de Hicks. Il écrit « peindre en fils et fibres serait donc une voie originale empruntée par une artiste aimant la peinture, nourrie par la peinture, formée à la peinture mais qui, à la faveur de sa rencontre avec le textile préhispanique en 1957, décide de s’en remettre à la fibre comme medium.”
Le choix du textile provient peut-être de la « passion chromatique » de Sheila car la couleur peut faire corps avec le matériau qu’elle imprime, alors que sur la toile, elle semble appliquée, comme séparée de son objet. Cette incarnation matérielle de la couleur peut, selon Sheila Hicks, être réalisée à travers « les possibilités accrues de l’expression de la couleur en texture ».
Pour cette exposition, Sheila Hicks a conçu ses œuvres comme des objets ouverts, mouvants, capables de s’adapter à des lieux spécifiques et d’accueillir des regards différents, dans lesquels la matérialité du textile s’exprime inlassablement. Les compositions, agencements des couleurs et formes complexes laissent entendre la voix du textile, s’exprimer la « matière », qui ne se laisse jamais complètement dominée par les exigences de la forme. Sheila Hicks dit «Nous envahissons le monde de la peinture et de la sculpture par la couleur en texture ». Ses pratiques artistiques incarnent une réjouissante liberté et nous renvoient à notre propre capacité à subvertir les contraintes qui peuvent
peser sur nous, et grâce à ce mélange de maîtrise et de douceur si caractéristique, à échapper au tumulte.