Cartier et les arts de l’Islam
Aux sources de la modernité
Cette exposition exceptionnelle, coproduite par le Musée des Arts Décoratifs et le Dallas Museum of Art, avec la collaboration exceptionnelle du musée du Louvre et le soutien de la Maison Cartier montre les influences des arts de l’Islam sur la production de bijoux et d’objets précieux de la Maison de haute joaillerie, du début du xxe siècle à nos jours. Pour la première fois, le processus de création d’une grande Maison de joaillerie est mis en lumière. La grande richesse des archives, les nombreux dessins et le fonds photographique ont permis de retrouver la source originelle de nombreuses créations de Cartier et de comprendre l’important impact de la découverte des arts de l’Islam sur la Maison au début du XXe siècle.
Le Musée des Arts Décoratifs a ouvert la voie à ces recherches spécifiques lors de l’exposition « Purs décors ? Arts de l’islam, regards du XIXe siècle » en 2007, au moment même où ses collections rejoignaient celles du musée du Louvre, pour former, grâce à un dépôt de grande ampleur, le département des Arts de l’Islam, inauguré en 2012. Ces recherches sont aujourd’hui approfondies dans le domaine de la bijouterie et joaillerie à travers l’histoire créative de la Maison Cartier.
Créée en 1847 par Louis-François Cartier, la Maison est initialement spécialisée en vente de bijoux et d’objets d’art. Son fils Alfred reprend la direction de l’activité en 1874 et y associe son fils aîné Louis en 1898. Cartier conçoit alors ses propres bijoux tout en poursuivant une activité de revente de pièces anciennes. Au début du XXe siècle, Louis Cartier est à la recherche de nouvelles sources d’inspiration. Paris est alors le haut lieu du commerce de l’art islamique et c’est certainement au travers des grandes expositions organisées à Paris, au Musée des Arts Décoratifs en 1903 puis à Munich en 1910, que Louis découvre avec passion ces formes nouvelles qui imprègnent progressivement la société française. À travers un parcours thématique et chronologique décliné en deux volets, l’exposition retrace, dans une première partie, l’origine de cet intérêt pour les arts et l’architecture de l’Islam à travers le contexte culturel parisien du début du XXe et explore le climat de création autour des dessinateurs et des ateliers, à la recherche de leurs sources d’inspiration. La seconde partie illustre le répertoire de formes inspiré par les arts de l’Islam depuis le début du XXe siècle jusqu’à nos jours.
De la collection personnelle de Louis Cartier, reconstituée grâce aux archives de la Maison, aux voyages que Jacques Cartier entreprend notamment en Inde, en 1911, qui lui permettent de développer la clientèle des maharadjahs et de collecter des bijoux anciens et contemporains, pour les revendre en l’état, s’en inspirer ou les recomposer au sein de créations nouvelles. Ces différentes sources d’inspiration et les bijoux orientaux qui enrichissent les stocks de la Maison contribuent au renouvellement des formes mais aussi des techniques de fabrication. Les aigrettes, les pompons, les bazubands (bracelet allongé fixé sur le haut du bras) sont déclinés à l’envi et adaptés dans leurs formes, leurs couleurs et leurs matières au goût du jour. La flexibilité des bijoux indiens donne naissance à des innovations techniques, de nouvelles montures et assemblages. L’intégration de parties de bijoux, de fragments d’objets islamiques, désignés comme « apprêts », et l’utilisation de textiles orientaux pour créer des sacs et accessoires constituent également l’une des marques de création de la Maison en ce début de XXe siècle. Célèbre pour sa production de bijoux de style guirlande, la Maison Cartier développe, dès 1904, des pièces dont les lignes s’inspirent des compositions géométriques issues des arts de l’Islam découvertes au travers des livres d’ornements et d’architecture. Décors de briques émaillées originaires d’Asie centrale, merlons à degrés… constituent les bases d’un répertoire précurseur qualifié plus tard d’« art déco » – en référence à l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de Paris en 1925 – et qui très tôt a fait entrer la Maison dans la modernité.
La production de la Maison sous la direction artistique de Louis Cartier est notamment marquée par une inspiration issue du monde iranien et des arts du livre. C’est le cas des mandorles, palmettes, fleurons, rinceaux, sequins, ondulations, écailles… Louis innove par de nouvelles associations de couleurs et de matières, mariant le lapis lazuli et la turquoise, associant le vert du jade ou de l’émeraude au bleu du lapis lazuli ou du saphir pour créer son célèbre « décor de paon ».Sous la direction artistique de Jeanne Toussaint, le style de la Maison laisse place, dans les années 1930, à de nouvelles formes et associations de couleurs inspirées essentiellement du monde indien. Tutti Frutti, sautoirs, bijoux en volume caractérisent le style hautement reconnaissable de la Maison et ses nouvelles productions qui émaillent la seconde moitié du XXe siècle.
Parfois aisément identifiables, d’autres fois décomposés et recomposés jusqu’à rendre leur source intraçable, les motifs et les formes issus des arts et de l’architecture de l’Islam intègrent le langage stylistique des dessinateurs jusqu’à constituer encore à ce jour une partie du répertoire de la Maison, qu’illustrent des pièces de joaillerie contemporaine qui achèvent ce parcours.