Marie-Virginie et Clémence Dru
On croise parfois des familles qui forment des sortes de tribus artistiques. Des familles où les passions semblent se transmettre, se partager, de génération en génération. C’est le cas des Dru. Les parents d’abord, Jean-Marie, figure incontournable du monde de la publicité et Président de l’UNICEF, Marie-Virginie, sculptrice et écrivaine. Puis les enfants, Pierre-Marie et François-Marie, les deux fils de Jean-Marie, tous deux musiciens et compositeurs, Noémie, la fille de Marie-Virginie, réalisatrice de films et de séries à succès, et enfin les petits derniers, Clémence et Matthieu, créateurs de Côme Editions.
Aujourd’hui c’est un rendez-vous mère-fille que nous avons : Marie-Virginie, vient de publier un livre, Aya, chez Albin Michel, succès public et critique de l’été ; Clémence, avec Côme Editions, sa marque, lance un concept éthique, Seconde Vie, qui fera sans aucun doute des émules dans le petit monde de la mode. Noémie est absente, elle est en train de terminer son dernier film, mais dans nos échanges elle n’est jamais très loin.
Clémence, Côme Editions, c’est une histoire de famille ?
Clémence : Une histoire de frère et sœur d’abord, mais encouragée par toute la famille, qui nous soutient depuis le début. Maman a beaucoup collaboré avec nous, elle a fait des photos, écrit un texte, créé des vitrines … Même les gens avec lesquels nous travaillons, sont pour nous une sorte de famille, nos relations sont empreintes d’honnêteté et de sincérité. C’est important de donner un sens à ce que nous faisons, d’avoir quelque chose qui nous guide. Et nos parents nous ont tous, leurs cinq enfants, beaucoup inspirés dans ce sens. Eux-mêmes étaient très impliqués depuis longtemps dans plusieurs associations au Sénégal, notamment La Maison Rose, et dès la création de Côme nous avons décidé de leur reverser 20% des gains sur nos modèles brodés. Notre plus grande satisfaction est de savoir que grâce à cela, nous permettons à des femmes de s’en sortir seules.
Marie-Virginie : J’ai vraiment l’impression que ta génération cherche à donner du sens à chaque chose, je vous admire.
C’est plutôt rare de trouver une jeune Maison qui parvient à être aussi éthique et solidaire.
Clémence : Bien-sûr nous voulions, Matthieu et moi, que nos créations aient un sens, une histoire à raconter, même une valeur sentimentale, mais aujourd’hui nous souhaitons être éco-responsable : produire artisanalement, en petite quantité, que nos vêtements soient fabriqués à Paris. C’est parfois compliqué parce que les gens nous disent que pour nos broderies par exemple, cela coûterait beaucoup moins cher si elles étaient réalisées à la machine, mais alors cela n’aurait plus le même sens.
Tu vas encore plus loin cette année avec la Collection Seconde Vie.
Clémence : C’est la collection la plus éthique de Côme Editions. L’idée est de ne plus produire de tissus, il y en a déjà tellement ! Pour l’instant nous utilisons nos chutes, mais nous n’en aurons bientôt plus et nous préparons des collaborations avec d’autres maisons pour récupérer les leurs. On est aussi en train de créer le Côme Studio, un bureau de style qui nous permettra de dessiner et créer pour d’autres marques, avec une vision éco-responsable.
Marie-Virginie : Moi il y a autre chose que j’adore chez Côme, c’est que c’est vraiment intemporel !
C’est vrai, Matthieu et toi avez réussi à créer un vestiaire qui ne se démode pas d’une saison à l’autre.
Clémence : Un peu comme le mien en fait. Je ne pourrais pas créer un vêtement que je n’aimerais pas porter, juste parce que cela correspond à la mode. D’ailleurs j’achète peu de choses et j’aime les conserver longtemps. Et à l’inverse je ne comprends pas qu’on achète des vêtements qui ne durent pas. Pour les formes, je crée seulement celles que j’aime, je ne regarde pas les cahiers de tendances. Avec Matthieu, nous faisons aussi très attention aux matières. Souvent nous tombons d’abord sous le charme d’un tissu, pour le toucher, pour l’imprimé et cela donne le ton de ce que nous allons créer.
Mais la création de Côme dont tout le monde parle, c’est quand même cette petite veste brodée que l’on commence à croiser un peu partout. C’est rare d’avoir une pièce phare après seulement cinq ans d’existence, tu pensais qu’elle rencontrerait un tel succès ?
Clémence : La veste Théo. Au début je voyais un microcosme la porter, aujourd’hui moi aussi j’en croise dans la rue ou sur les épaules de gens connus. J’ai d’abord créé cette petite veste toute simple en satin et puis un jour, nous étions à la Maison Rose avec ma sœur Noémie et en voyant les créations de l’atelier, je lui ai proposé de faire broder une de nos vestes avec le mot de son choix. L’empiècement dans le dos s’y prêtait parfaitement. Aujourd’hui, le succès est tel que nous avons une chef d’atelier au Sénégal, qui dirige un lieu que nous appelons l’Atelier des Rêves. Elle fait appel aux femmes de la Maison Rose, mais aussi à des femmes de Dakar qui sont en situation précaire, pour réaliser nos broderies. Ici aussi nous essayons d’être éco-responsable en réunissant les commandes pour que les envois ne soient effectués que toutes les six à huit semaines.
Certaines de tes clientes, que tu nommes joliment les Comètes, forment presque une communauté ?
Clémence : Oui certaines nous sont vraiment fidèles, elles sont un peu devenues nos ambassadrices. Au-delà des créations, elles aiment aussi le projet. Aujourd’hui la plupart de nos vestes sont fabriquées sur-mesure, avec des broderies cachées, des motifs imaginés par nos clientes. On choisit ensemble le tissu, la couleur, un imprimé, puis elles la personnalisent et cela devient vraiment leur veste, un objet unique et souvent sentimental. Nous avons créé un nouveau modèle cette année, qui a plus la forme d’un bomber, il porte le nom de Noa, mon petit garçon qui a tout juste un an !
Ta collaboration avec Ondine Saglio, chez CSAO, pour les broderies des vêtements Côme, ce n’est pas non plus un hasard ?
Clémence : C’est une histoire de famille recomposée et encore d’Afrique ! Ca c’est le charme de Maman, elle a cette faculté de réunir les gens autour d’elle. Ondine est la demi-sœur de Noémie et en quelque sorte la mienne. Sa mère, Valérie Schlumberger a créé La CSAO (Compagnie du Sénégal et de l’Afrique de l’Ouest) il y a 25 ans pour permettre aux femmes sénégalaises d’être indépendantes financièrement. Encore une histoire de savoir-faire et de vies humaines. La Maison rose est un lieu de vie et de travail où règnent la joie, les chants, les rires des enfants.
Marie-Virginie, Aya, l’héroïne de ton roman, trouve, elle aussi, refuge à la Maison Rose ?
Marie-Virginie : L’histoire m’a été inspirée par une petite fille, Sophie, que j’ai connue à la Maison Rose. On y croise vraiment des destins incroyables, des destins brisés, foudroyés, mais il y a toujours des histoires de résilience et de joie. On aide les jeunes filles ou les jeunes femmes à accepter leur enfant, à l’aimer, même s’il est le fruit d’un drame.
Ce livre est une magnifique histoire de résilience, mais tu y évoques aussi en filigrane la violence des échanges humains actuels entre les deux continents, notamment avec les migrants.
Marie-Virginie : J’ai voulu parler de l’omerta qui existe au sein des familles ou des communautés, mais aussi de cette désillusion, de ces souffrances, auxquelles nous ne devrions jamais nous habituer. Parfois, individuellement, c’est difficile de réagir ou d’aider. Il y a des murs devant nous tous, sur les deux continents. Mais on oublie souvent que les gens qui partent le font par solidarité familiale, pour aider les leurs.
Toi-même tu as élevé tes enfants dans cet amour du Sénégal. L’Afrique est un peu ton second continent ?
Marie-Virginie : Noémie y est arrivée à dix jours. Elle aimerait d’ailleurs faire un film de l’histoire d’Aya. J’ai des racines là-bas, depuis longtemps maintenant. J’y suis partie pour la première fois à 22 ans et depuis j’y retourne chaque année. Mon fief c’est l’Ile de Gorée. C’est un pays où l’on trouve beaucoup de joie de vivre, de légèreté, malgré la souffrance ou la dureté des choses.
Tu montres peu ton travail de sculpture, souvent inspiré aussi par l’Afrique, même si tu es très occupée en ce moment avec Aya.
Marie-Virginie : Je pense que la sculpture m’a aidée à écrire ce livre, dans ma manière de travailler. J’ai toujours créé beaucoup de personnages. Quand je sculpte, c’est comme si je les avais déjà en moi et qu’entre mes mains tout à coup ils surgissaient ! Pour Aya, il s’est produit un peu la même chose : J’ai écrit le premier chapitre d’un seul jet un mardi et le jeudi suivant, dans mon atelier, j’ai sculpté mon personnage, l’histoire pouvait donc continuer. Neuf mois plus tard mon livre était écrit et les choses se sont enchaînées très rapidement, comme dans un rêve.
Clémence : Tout cela au moment même où tes deux filles étaient enceintes …
Marie-Virginie : Oui, c’est vrai, cela nous a pris neuf mois à chacune !
J’ai l’impression qu’au-delà de tout, ce qui vous lie aussi, mère et filles, c’est une grande joie de vivre.
Clémence : Ca aussi je crois que nous le devons à Maman, c’est une Femme enfant, dans le sens où elle a construit sa vie de femme en conservant son âme d’enfant.
Marie-Virginie : Oui c’est le monde de l’enfance qui m’inspire. Sa joie et sa poésie. Mes filles sont comme ça aussi, elles mettent de la poésie dans toutes leurs réalisations. C’est important la poésie !