François Houtin
François, on peut dire que vous avez une œuvre plutôt protéiforme : dessin, gravure, mais aussi design d’objets et décors ?
Je n’ai pas de définition précise du métier d’artiste. Depuis toujours j’aime dessiner, alors assez logiquement dès que j’ai pu, je me suis dirigé vers le monde de la création. Si je dois donner un sens à mon travail, ce serait plutôt celui de participer au processus d’évasion du tumulte de la vie contemporaine ; de montrer et de donner à aimer la superbe nature que nous avons autour de nous et que nous détruisons sans cesse ; de la considérer à égalité avec l’Homme. Il est important de rester connecté à celle-ci, pour moi c’est fondamental ; c’est pourquoi je la dessine par besoin et par plaisir.
J’utilise aussi bien le pinceau, la pointe sèche, le crayon, le dessin, la gravure que le lavis sur papier chinois marouflé sur toile. Je travaille aussi in-situ pour certains décors. Mais j’aime aussi utiliser d’autres supports pour mes projets, avec Hermès par exemple, j’ai créé des carrés de soie, un service en faïence et un papier peint. Il m’est aussi arrivé de créer des décors de vitrines et exceptionnellement je fais du paysagisme.
Vous êtes aussi paysagiste ?
Je dessine depuis toujours. Quand je suis arrivé à Paris en 1971, je dessinais le cosmos, des planètes, des architectures et des plantes très bizarres. Je prenais des cours de modèle vivant à Montparnasse et des cours de gravure chez Jean Delpech. En 1973 pour pouvoir vivre, je suis entré chez Jacques Bédat et Franz Baechler, architectes paysagistes et décorateurs floraux. Je me suis tout de suite passionné pour le monde végétal et le paysage. Ils m’ont très vite sollicité pour faire les plans de jardins et dessiner les projets de décors. Cette période à été très riche pour moi : j’ai pu participer à des projets importants pour des jardins fabuleux, chez les Rothschild, les Patino, les Beistegui …
J’ai commencé à travailler sur de petits formats. Je dessinais sur des carnets et j’aimais graver sur le cuivre, pour y créer des paysages, des plantes et des arbres à la fois très denses et très précis. Les jardins sont devenus de plus en plus imaginaires, ont basculé vers le rêve. Puis les formats ont évolué, sont devenus plus grands, j’ai pris conscience doucement que je travaillais avec tout mon corps, debout souvent, dans la nature. Mon travail s’est libéré, les arbres aussi. J’ai découvert le lavis d’encre de Chine, et pour la gravure j’ai délaissé quelques temps l’eau forte, une technique un peu froide, pour la pointe sèche.
A cette période vous vous inspiriez beaucoup du travail des artistes du Siècle des Lumières, qui aimaient présenter une nature idéale et imaginaire ?
Oui, pendant près de vingt ans j’ai beaucoup travaillé autour des jardins français, italiens, les jardins de la seconde partie du 18ème siècle, entre le peigné et le sauvage. Je dessinais des univers très construits, totalement maîtrisés par l’homme. Je dessinais beaucoup d’arbres topiaires. J’aimais aussi les sculpter. A cette époque j’ai d’ailleurs réalisé un jardin topiaire chez Colette et Hubert Sainte Beuve à Planbessin en Normandie à Castillon.
Vous réalisez des projets pour de très belles Maisons.
J’ai commencé avec des décors de vitrines en trois dimensions. J’ai ensuite créé des carrés de soie pour Hermès, puis un service de table, les Maisons Enchantées, et un papier peint panoramique, Campagne Buissonnière.
Lors du vernissage organisé par Hermès pour le lancement des Maisons Enchantées, Dorothée Boissier et Patrick Gilles ont découvert et aimé mes lavis et m’ont invité à créer un décor pour le Café Artcurial du Rond-Point des Champs-Elysées. C’était la première de mes grandes réalisations in-situ. L’an dernier, j’ai également réalisé un plafond pour le restaurant l’Ambroisie à Macao (plus de 90 m2 à 5,5m du sol). Mais parallèlement je continue de créer de nombreux lavis pour mes expositions à Paris, Londres ou Chicago. La nature y devient de plus en plus sauvage et je fais beaucoup de portraits d’arbres singuliers, presque tous dessinés dans la nature, sauf les très grands formats que je réalise dans mon atelier. Ce qui me plait par-dessus tout dans un arbre c’est son identité, sa singularité, ses blessures, sa résilience.
D’ailleurs, dans cette nouvelle exposition, vos sujets sont plus tropicaux, plus sauvages que d’ordinaire.
La moitié de l’expo est consacrée à la végétation de Rio, où j’ai eu une résidence d’artiste il y a deux ans, et de Macao où j’ai travaillé ce projet pour L’Ambroisie. La végétation tropicale a été pour moi un grand choc : la richesse des formes des arbres, leurs feuillages, les fleurs, mais aussi les couleurs, la confrontation permanente entre la nature, le bitume ou le béton, la richesse, sous toutes ses formes, et la pauvreté, la chaleur et l’humidité permanente …
Ma façon de dessiner aussi est un peu différente, je conserve toujours un dessin précis, dense, mais je pense que le trait est plus enlevé, plus spontané. Ce n’est plus ma main qui guide mon crayon ou mon pinceau, ce sont mes yeux.
Le reste de l’exposition montre la végétation des bords de Loire, qui m’offre tout autre chose : la nature peut y être extrêmement singulière, belle, monstrueuse quelquefois, mais il faut la chercher pour la trouver. Les arbres montrent leur résilience face aux agressions de l’homme, du vent, des inondations … les paysages de bords de Loire sont superbes : l’équilibre me semble parfait entre l’eau, le sable, les ciels, les arbres et la petite végétation sauvage, et ces paysages sont ponctués de magnifiques architectures en tuffeaux et en ardoises. La meilleure façon, je crois, de montrer, de transcrire la Nature, est de respecter l’identité de chacun de ses éléments : le port d’un arbre, son feuillage, sa densité, l’identité de son tronc, l’identité du paysage lui-même.